Le cor de chasse retentit dans la forêt domaniale de Dreux. Il est 11 heures, ce mercredi. La pluie tombe mais ne repousse pas la trentaine de passionnés de chasse à courre et de grande vénerie, en quête d’un trophée de cerf. À prendre ou à perdre, expliquent-ils. Comment Emmanuel Tardy, photographe animalier, aide les oiseaux à se préparer à l’hiver Élise Casanova, originaire d’Évreux Eure, est tombée amoureuse, il y a douze ans, de ces trois hectares de forêt et du pavillon de chasse appartenant à l’équipage Normand & Picard, depuis soixante ans. Cette infirmière en bloc opératoire, âgée de 42 ans, a découvert le lieu et la discipline grâce à une amie. Elle se souvient Ma collègue savait que je montais à cheval, alors, elle m’a parlé de la chasse à courre dans la forêt de Dreux. Je me suis dit “pourquoi pas ? ” et maintenant, je suis là, dans le froid, de septembre à mars, une fois par semaine. » La chasse débute Vêtu d’une redingote noire, d’une lavallière blanche sur laquelle est attachée une épingle portant le nom de l’équipage, d’une bombe d’équitation et de hautes bottes en cuir, cette grande femme brune enfourche son cheval. Une quinzaine de chasseurs de l’équipage reproduisent le même geste. Les autres s’enfoncent dans la forêt à vélo ou à pied. premium Le mouvement anti-chasse à courre dénonce les agissements de chasseurs à Rambouillet dans une vidéo Ils sont accompagnés de 35 chiens de chasse. La chasse à courre dépend d’eux », explique Élise Casanova. Les chiens guident les chasseurs vers la proie grâce à leur flair. Ils ont appris à reconnaître l’odeur d’un cerf et à suivre sa trace. Parfois, ils font des erreurs et nous amènent vers des biches et des chevreuils. Ceux-là, on ne les chasse pas. Alors, on attend qu’ils trouvent une autre cible. » Pendant toute la durée de la chasse, les chiens, guidés par le maître d’équipage, vont choisir un cerf et ne vont plus le lâcher. Recevez par mail notre newsletter loisirs et retrouvez les idées de sorties et d'activités dans votre région. On ne change pas de proie au cours de la chasse, sinon c’est trop facile. Tant que l’animal ne se réfugie pas dans une propriété privée et qu’il n’approche pas les routes et des villages, alors on continue de le traquer. » Dans ce cas-là, seule la nuit peut les arrêter. La faim peut-être parfois, après plusieurs heures passées sur leur cheval à écouter la forêt et les chiens. On aime les animaux » On aime la chasse aussi parce qu’on aime les animaux. On a tous une relation très forte avec les chiens et notre cheval. Je pense qu’on a tous de vraies connaissances pour les comprendre et qu’on est épatés par l’instinct animal. On les écoute. » L’équipage est une famille » composée à moitié d’humains, à moitié d’animaux. On a de beaux moments de partage, on se chambre beaucoup. C’est très convivial. » Après le café, avant de partir chasser, tous prennent un shot de verveine à la framboise. Est-il vrai que "depuis vingt ans, jamais les accidents de chasse n'ont été aussi peu nombreux", comme l'affirme Xavier Bertrand ? Le maître d’équipage, Benoît Dulac, mène la danse. Motivés par ses consignes, les chiens cherchent activement une trace olfactive. Les chasseurs sont postés dans les chemins boueux, recouverts de feuilles orangées. Nous ne sommes pas autorisés à rentrer dans le bois avec les chevaux ou avec les vélos. Seuls les chiens peuvent le faire. » Alors ils restent là, cherchent une proie du regard. Au moins un chasseur est présent à chaque entrée du bois. Si un cerf est rentré, alors les chiens vont le sentir et l’animal devra ressortir. On le verra. » Le terrain de chasse est construit comme une araignée. Les files sont les chemins, le vide, les bois. On ne doit pas dégrader la forêt, on doit permettre son rayonnement », affirme la chasseuse normande. Si on entrait dans les bois avec les chevaux au galop, on casserait des branches et on abîmerait le sol. Ce n’est pas ce qu’on veut. Avant tout, on aime la forêt, on y passe des heures, c’est notre second lieu de vie ici. On en prend soin. » Un stress positif » Lors d’une journée de chasse, le cerf parcourt 25 à 60 km. Benoît Dulac, qui chasse depuis quarante ans, développe On le prend une fois sur deux. Une fois sur trois en ce moment. Les cerfs sont très rusés. Lorsqu’on ne l’attrape pas, on gracie le cerf et il apprend. Il sait où il doit aller la prochaine fois, pour continuer de nous échapper. La chasse crée chez eux un stress qui est positif, au final, car ils sont préparés au danger. » premium Licences, quotas pourquoi la pêche agite autant les relations entre la France et le Royaume-Uni Dans ce jeu de piste, cette sorte de cache-cache géant », il y a un gagnant et un perdant. Si le cerf perd, expliquent-ils, la forêt gagne Avant chaque saison de chasse, des agents viennent compter le nombre de cerfs qui peuplent la forêt domaniale de Dreux et établissent un plan de chasse. Cette année, nous devons tuer 15 % de la population de cerfs qui habitent la forêt. » Ils sont de plus en plus nombreux, même si leur nombre commence à se stabiliser. C’est utile pour une raison simple ce sont eux les plus grands prédateurs de la forêt, après le loup. Sauf que des loups, dans le département, il n’y en a pas. » Une tradition utile » Les chasseurs à courre reproduisent une forme de chasse naturelle, expliquent-ils, mais codifiée. Les cerfs, s’ils sont trop nombreux, endommagent la forêt. Ils mangent les arbustes et dégradent les arbres, alors nous devons réguler la population. La chasse à courre est utile pour maintenir un équilibre et permettre la régénération de la forêt. » Chasse à courre pratiquants en France La chasse à courre, ou vénerie, est un mode de chasse vieux de ans, consistant à poursuivre, à l’aide d’une meute de chiens, un animal sauvage jusqu’à l’épuisement. La mise à mort s’opère à la dague ou, chez certains équipages, au fusil de chasse. Le corps du gibier poursuivi est partiellement livré aux chiens, en guise de récompense, et sa tête est souvent conservée comme trophée. Les animaux chassés à courre sont le cerf, le chevreuil, le renard, le sanglier, le lièvre, le lapin et le blaireau. Il existe différents types de véneries Celle qu’on appelle la grande vénerie se pratique à cheval et se concentre sur les grands mammifères cerf, chevreuil et sanglier. La petite vénerie se pratique plutôt à pied et concerne le petit gibier lapin, lièvre et renard. En 2021, selon la Fédération nationale des chasseurs, Français pratiquent la chasse à courre, dont femmes, sur environ un million de chasseurs actifs c’est-à-dire en possession d’un permis de chasse valide. On dénombre 390 équipages de vénerie, répartis sur 69 départements. Le nombre de chasseurs fait de la France le pays européen qui en compte le plus. Cela fait maintenant une heure que la chasse a commencé et les chasseurs n’ont toujours pas localisé de proie. Pour apprécier la discipline, il faut être patient. » Soudain, le cor de chasse retentit quatre fois. Tous comprennent que les chiens ont flairé un cerf. Cela devient sérieux. Dans l’action, Élise Casanova explique Nous avons tous notre permis de chasse et une dague que nous portons à la ceinture. Nous ne tuons pas le cerf une fois qu’il est cerné par les chiens. Seul le maître d’équipage le fait, au fusil, depuis quelque temps. » Casser les clichés » La dague fait partie des traditions, du costume. D’ailleurs, il faut casser le cliché des chasseurs à courre qui ne sont que des bourgeois. On sait que la redingote contribue à cette image. mais, ici, il y a de tout. Des médecins, certes, mais aussi des ouvriers ou des agriculteurs. » La licence de chasse pour rejoindre l’équipage est de 300 € l’année. Comme pour beaucoup de sports », commente Benoît Dulac. Un automobiliste grièvement blessé par balle en Ille-et-Vilaine, un chasseur en garde à vue Ce jour-là, après près de cinq heures de chasse, dont quatre heures à traquer un cerf, l’équipage n’est pas parvenu à le prendre. On s’est amusé quand même. Nous recroiserons ce cerf un jour, peut-être », conclue Élise Casanova. Contre Le collectif Pour l’abolition des chasses à courre et traditionnelles PACCT, composé à 80 % de femmes, mène des actions contre la chasse à courre, à Rambouillet Yvelines, depuis quatre ans. Les samedis et mardis, une trentaine de membres se rejoignent. Ils se mêlent aux chasseurs, qui les ont identifiés. L’ambiance est lourde. Le renard classé comme nuisible en Eure-et-Loir un photographe animalier dénonce un "acharnement" Quelques insultes à caractère sexiste fusent de la bouche de certains chasseurs. Muriel Marasti, attachée de presse en région parisienne, est porte-parole du PACCT. Créé en 2018 sous le nom AVA de Rambouillet, le PACCT est un collectif citoyen qui compte une centaine de membres âgés de 20 à 60 ans. Ils sont également présents à Dreux. Le collectif PACCT de Rambouillet se mobilise contre la chasse à courre les mardis et samedis. Ce samedi matin, les véhicules des chasseurs ont été aperçus du côté des Bréviaires. Ils vont chasser là-bas », affirme l’une des membres. Pour rejoindre la forêt, le PACCT utilise les voitures qui ont déjà été identifiées par les chasseurs. Des suiveurs, postés devant les véhicules de ces anti-chasse, semblent vouloir les empêcher de progresser. Une extrême cruauté » Les membres du PACCT s’engouffrent dans la forêt. Ils sont accueillis par des regards hostiles. De toute façon, ce qui nous intéresse le plus nous, ce sont les animaux. » Le PACCT dénonce l’extrême cruauté » subie, selon eux, par les cerfs, les biches, les chevreuils, les chiens et les chevaux, durant la chasse à courre. Muriel Marasti développe C’est vraiment la première raison qui explique pourquoi on milite pour l’interdiction de la chasse à courre. Le principe, c’est quand même qu’un animal soit poursuivi pendant des heures par une quarantaine de chasseurs, mais aussi par environ 350 suiveurs, dont des enfants. Le cerf doit lutter pour sa survie et le stress est insupportable. » Muriel Marasti porte-parole du PACCT Le collectif mentionne les recherches scientifiques menées en 1997 par Patrick Bateson, sur le stress des animaux chassés. Il nous apprend que lors de la chasse, l’animal sauvage empoisonne son sang, car il n’est pas fait pour courir pendant quatre heures. C’est-ce qu’on appelle la myopathie de capture. » Un photographe animalier d'Eure-et-Loir donne des raisons de protéger le renard Ainsi, même lorsque l’animal n’est pas pris par les chasseurs, il souffre, précisent-ils. La porte-parole ajoute Lorsque le cerf est mis aux abois, là, c’est l’enfer. Les chiens se jettent sur lui et le dévorent pendant de longues minutes avant que le maître d’équipage arrive et achève ses souffrances à la dague. » Pas de comparaison » avec d’autres prédateurs Un mode opératoire qui met à mal la comparaison de la chasse à courre avec la prédation par le loup, selon le PACCT Les loups, lorsqu’ils tuent, chopent le cerf à la gorge et celui meurt en quelques secondes. Il ne souffre pas. Ici, on est dans une réelle barbarie et quelque chose qui est à l’opposé de la loi des animaux et du naturel. » Des chiens en très mauvais état »... Depuis que le PACCT agit, ses membres ont constaté, souligne-t-il, que les chiens sont pris pour des objets. Ils sont en très mauvais état, quelques-uns ont les pattes qui ont triplé de volume, d’autres ne sont pas pucés et les tumeurs ne sont pas soignées. C’est normal, quand on voit qu’ils dorment par terre, au chenil. » …ou qui se perdent » Les chiens sont dressés pour chasser en meute. Ce n’est pas naturel pour eux et surtout, même s’ils sont dressés, ce n’est pas une science exacte. Alors oui, ils se retrouvent sur les routes et très souvent, ils se perdent même. » Dans les bois, un chien est seul. Il semble appeler à l’aide. Les chiens sont conditionnés pour que les humains s’amusent », affirme Muriel Marasti. Le collectif pour l’abolition avait dénoncé des pratiques dans une vidéo Le collectif pour l’abolition des chasses à courre et traditionnelles PACCT a publié une vidéo particulièrement cruelle », sur sa page Facebook, enregistrée lors d’une chasse en forêt de Rambouillet, le 20 novembre. On y voit un daguet jeune cerf qui, traqué par des chiens de meute depuis de longues heures », selon Muriel Marasti, porte-parole du mouvement citoyen PACCT, a été blessé au fusil dans un étang, par des chasseurs installés dans une barque, alors qu’il était parvenu à s’enfuir. Un scénario pointé du doigt par PACCT Avec plusieurs chiens sur son dos, il a lutté de toutes ses forces pendant un temps infini. Il finira par s’extraire de la meute, tentant de rejoindre l’autre rive », affirme-t-elle. Les veneurs ont sorti la barque et rattrapé l’animal qui, de nouveau, a réussi à leur échapper. Ils l’ont abattu lâchement de deux coups de fusil. » Selon le collectif, le gibier ne peut être tué que lorsqu’il est mis aux abois, ce qui, selon le collectif, n’était pas le cas lors de cet épisode de chasse. Antoine Gallon, chargé de communication dans une société de vénerie, a contesté cette version La notion d’abois n’est pas la même dans tous les camps. Le cerf se met à l’eau seulement s’il a usé de toutes les ruses. Alors, on prend une barque pour tuer le cerf au plus près. Aucune règle ne précise la distance. » Dans la forêt, les anti-chasse se dispersent. Ils se postent dans les parcelles et encadrent la zone de chasse. On essaye de suivre l’action, en se repérant grâce aux bruits des chiens. » Lorsqu’un animal est blessé, le PACCT lui vient en aide. On note et on filme tous les abus, tout ce qui est illégal. » Sur les imperméables, tous portent une caméra de sport embarqué, fixée grâce à un harnais. Ce gadget est très utile pour prouver les agissements dangereux des chasseurs et les conséquences désastreuses qu’ils peuvent avoir. » Les enregistrements servent de preuves pour le collectif. Ces rencontres dans la forêt, entre pro et anti-chasse à courre, débouchent régulièrement des plaintes déposées en gendarmerie, explique le PACCT. Au moins, nous sommes protégés et nous pouvons nous défendre devant la justice en prouvant que nous n’avons rien fait », affirme Muriel Marasti. Une pratique dangereuse » La chasse à courre est dangereuse », clament les membres du collectif. Elle est dangereuse pour les riverains qui vivent aux alentours et qui n’en peuvent plus de voir tout ce remue-ménage deux fois par semaine. Elle est dangereuse pour les promeneurs qui doivent se vêtir de vêtement de couleurs vives pour être identifiés. D’ailleurs, les jours de chasse, privés d’une balade paisible, ils ne viennent presque plus. Et elle est dangereuse pour les automobilistes. Il y a quelques semaines, nous avons dû aller sur la RN10 récupérer un chien qui voulait traverser. Pareil pour les biches et les chevreuils, qui sont régulièrement laissés pour morts. » Les 4x4 des chasseurs et suiveurs circulent sur les chemins forestiers par dizaines. On ne peut pas me dire qu’ils respectent l’écologie et qu’ils aiment la forêt », s’offusque une des anti-chasse. Selon le collectif, les voitures sont uniquement autorisées sur les chemins goudronnés. Ce samedi, certains chasseurs s’aventurent, avec leurs véhicules, dans des sentiers. Ce n’est pas naturel de chasser comme ça. On a jamais vu une meute de loups se déplacer en voiture ou en camion. » La France en retard sur ses voisins Certains pays d’Europe ont interdit la chasse à courre, comme l’Allemagne, en 1950 ; la Belgique, en 1995, l’Écosse, en 2002 et même l’Angleterre, en 2005, alors qu’il s’agit du pays d’origine de la vénerie ! », commente un membre du PACCT. La France est un pays qui préserve les privilèges d’une minorité. 80 % des Français sont contre la chasse à courre, selon un sondage. Cela ne peut plus durer. » Le collectif PACCT de Rambouillet se mobilisera deux fois par semaine, chaque saison, promet-il, jusqu’à ce que la chasse à courre soit interdite. Il ne faut pas croire que nous sommes là les samedis matin par plaisir. » Les membres du PACCT se définissent comme des lanceurs d’alerte, conclut Muriel Marasti Notre mission est d’informer la population sur ce qui se passe en forêt, à cause de la chasse à courre, et de présenter les faits, rien que les faits. On ne peut pas se taire, c’est violent. C’est très violent. » Florémie Blanc